C’est en tant qu’enseignant qui a longtemps animé à l’université de Montréal des ateliers de création littéraire, toujours avide d’entrer dans les mondes qu’on me proposait et d’autant plus curieux, cette fois, qu’il s’agit d’un pays que j’aime, et en tant qu’écrivain moi-même, qu’il me fait plaisir de faire écho aux huit nouvelles étonnantes, parfois bouleversantes, réunies par K. Madanagobalane et traduites du tamoul, que l’éditeur nous présente en vue de leur arrivée dans la grande maison de la langue française, si exigeante tant pour les francophones que pour les traducteurs surtout dont c’est la troisième ou la quatrième langue parlée, et qu’en outre une langue écrite présente des défis plus grands encore et des pièges spécifiques et innombrables, précisément littéraires, relatifs à la pensée, au style, à l’imaginaire, aux émotions! |
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Longue phrase pour en venir à dire enfin que je me suis intéressé surtout à ce dernier aspect, c’est-à-dire aux personnages, aux événements, aux drames, à la beauté des âmes et à leurs déchirements, dont la culpabilité et l’innocence concomitantes me semblent diriger les destinées, les amours et la mort, avec les paysages, plus souvent orageux que bucoliques, les bords de la Kaveri comme les hauteurs de Shimla, et les dieux, dont la poussière du pied de Rama purifie l’incartade de la naïve jeune fille de D. Jayakanthan, dans « L’épreuve du feu », ou les yeux de Kali, dans « Le cocotier en feu », ouvrent ceux de la reine Lochana, l’immensément émouvant personnage de Thanjai Prakash, sur sa grandeur toute simple.
Ce sont surtout des nouvelles d’apprentissage, presque des leçons de morale comme dans les fables brahmaniques ou bouddhiques où le Bien et le Mal tiennent le sort des humains dans leurs mains, les font agir comme des marionnettes.
« Le fils prodigue » de Sujatha rejoint les enseignements tant de l’Évangile chrétien que du fabuliste La Fontaine.
Une petite fille, dans la nouvelle de RajamKrishnan, « Juste une petite poussière dans l’œil», rencontre Soundarambal, femme jadis aimée de son père sculpteur qui en a fait le buste. La ressemblance frappe la jeune fille, mais le sculpteur lui cache qu’il s’agit bel et bien de la même personne, comme quoi les adultes ne disent pas tout de leur vie antérieure à leurs enfants.
Il y a beaucoup d’action dans la nouvelle dialoguée de Prapanchan, « La compassion », dans laquelle un meurtrier est tué par le policier qui l’arrête, pour que la soi-disant justice ne lui fasse pas subir un pire sort, est-il postulé, que celle des tueurs qui ont embrigadé le jeune Kesavan dans leurs vilenies.
Dans « Le lézard », la confession d’une demoiselle, hantée par sa peur des lézards, la mènera à empoisonner, après leur première nuit de mariage, son époux monstrueux, car doté d’une vilaine queue que la demoiselle compare à celle d’un python ou à une tige de fer, ce qui la guérira de sa phobie et se veut, de la part de l’auteur, K. Madanagobalane, un avertissement aux mâles bornés et insensibles.
D’une autre douleur il est question dans « La chute », celle de Kamala d’avoir perdu son mari, et la nouvelle signée Ambai nous laisse sur l’image de la veuve assise sur le parapet du balcon du douzième étage d’un hôtel de Shimla et tentée par le suicide. Tombera, tombera pas?
Mais le comble de la douleur, on la partagera avec le couple mal assorti de Balakumaran. Sa Shyamali, dans « Être homme, même dans l’adversité », est la jeune femme pauvre, férue de films hindis et d’aventures, qu’aura choisie le narrateur, plus conservateur, par une sorte de bonté ambigüe qui perdra le couple. Elle deviendra adultère, sera battue et mourra lors de son avortement. Le veuf s’occupera de leurs deux enfants en se récitant des hymnes à Shiva, s’accusera, s’excusera devant les dieux et auprès aussi du jeune amant de Shyamali venu pleurer la morte à son chevet, innocent ou pas, au lecteur de trancher!
Comment conclure mes impressions de lecture de ces nouvelles pleines d’humanité et fourmillant de propositions de vies, d’amours, de cruautés aussi et de remords, sinon en me disant que le registre psychologique des auteurs est très varié et touche à de nombreux aspects de la culture indienne actuelle, surtout tamoule je présume, en nous ouvrant, nous les lecteurs étrangers, à des problèmes sociaux et personnels qui nous touchent par leur ressemblance avec les nôtres, d’où que nous soyons.
- François Hébert
Docteur de l'Université d'Aix-Marseille, François Hébert a été journaliste à la Radio-Canada, chroniqueur au Devoir et critique à la revue Liberté.
Professeur honoraire à l’Université de Montréal, Québec, François Hébert a enseigné la création littéraire à l’Université de Montréal et a écrit plusieurs ouvrages dont Les miniatures indienens et De Mumabi à Madurai témoignent de son affinité à l’Inde. Il a, entre outre, publié des romans (Holyoke, Le Rendez-vous), des essais (Triptyque de la mort, Montréal), des poèmes (Homo plasticus, Le dernier chant de l'avant-dernier dodo, Lac noir, Les Pommes les plus hautes). Il a traduit, avec Marie-Andrée Lamontagne, un essai du romancier américain John Gardner (Morale et Fiction) et a publié sa correspondance avec Jacques Ferron (Vous blaguez sûrement...).
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