INTRODUCTION

Chers Amis,

Quel grand honneur vous me faites en me proposant d’introduire les lecteurs francophones à ces nouvelles !  Merci !  J’espère qu’elles charmeront un bon public hors de l’Inde, dans toute la francophonie qui nous est chère.  Elles y luiront d’un éclat singulier.

Belge, j’ai pas mal travaillé à l’étranger, en français et en anglais, et voyagé pour des réunions savantes dans des dizaines sinon des centaines de pays.  Pour moi, l’Inde est le pays le plus exotique, le plus étrange, celui qui me désoriente le plus.  Dès lors aussi celui qui me fascine le plus.

Je retrouve ce nimbe de mystère en lisant — et en relisant — ces nouvelles qu’a réunies notre ami le Pr Kichenassamy Madanagobalane.  C’est à Pékin que nous avons fait connaissance en 1989, et en quelques heures connivence et amitié ont éclos, qui fleurissent toujours davantage.

Je ne saurais guère vous présenter ici que mes sentiments à la lecture de ces récits.

Mes deux premiers sentiments sont la sympathie et l’admiration.  Voici des histoires qui nous peignent notre humanité, fraternelle et foncièrement pareille partout et toujours.  Mais s’exprimant de façon tellement différente de celle à laquelle nous ont habitués nos traditions occidentales assises sur leur trépied gréco-romain, judéo-chrétien et gaulois saupoudré de germain.

Selon ma perception, ces nouvelles ruissellent de finesse.  Elles sont ciselées, précises mais volontiers allusives, pudiques, quelquefois sibyllines, et cependant éclatantes et ornées comme des bijoux raffinés, d’or et de joyaux multicolores.

... Nouvelles tristes aussi, sinon désespérées.  Ce sont des joyaux tragiques.  Au chrétien, elles peuvent rappeler le pessimisme de l’Ecclésiaste, un des livres de l’Ancien Testament :

« Vanité des vanités, disait Cohélet, ‘le Prêcheur’ [ou l’Ecclésiaste, iiie siècle avant jc] ; vanité des vanités ; tout est vanité !

« Quel profit l’homme retire-t-il des peines qu’il se donne sous le soleil ?  Une génération s’en va ; une génération lui succède ; la terre cependant reste à sa place.  Le soleil se lève ; le soleil se couche ; puis il regagne en hâte le point où il doit se lever de nouveau.  Tantôt soufflant vers le sud, ensuite passant au nord, le vent tourne, tourne sans cesse, et revient éternellement sur les cercles qu’il a déjà tracés.  Tous les fleuves se jettent dans la mer, et la mer ne regorge pas, et les fleuves reviennent au lieu d’où ils coulent pour couler encore.

« Tout est difficile à expliquer ; l’homme ne peut rendre compte de rien ; l’œil ne se rassasie pas à force de voir ; l’oreille ne se remplit pas à force d’entendre.

« Ce qui a été, c’est ce qui sera ; ce qui est arrivé arrivera encore.

« Rien de nouveau sous le soleil » (traduit de l’hébreu par Ernest Renan [1823-1892], 1881).

J’ai ensuite l’impression d’être enlacé par le chèvrefeuille d’un style fleuri, pas dans le sens ‘d’orné’ seulement, mais aussi de goût de la nature, de l’eau, d’étangs, du fleuve Kaveri ou Cauvéry, de ciels lourds d’orages.  Moiteur, mousson.  Nature insensible à l’homme et immuable dans ses cycles, comme chez l’Ecclésiaste.  Et, je crois, de partout et toujours — sauf dans l’Occident moderne à partir de la Renaissance ; ce qui a été si bien décrit par René Descartes :

« [Les sciences] m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie.  Et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. 

Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait sans peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie » (René Descartes [1596-1650], Discours de la méthode, 1637). 

Cette maîtrise désormais patente est en partie illusoire. En septembre 2020, un coronavirus nous menace tous, malgré notre science, nos techniques et notre médecine.  Néanmoins, on a marché sur la lune.  Et des millions de vieillards, de blessés, de malades et de bébés qui naguère encore seraient morts trop tôt, ont non seulement survécu mais souvent joui de plusieurs années de santé, de joie et d’abondance, pleins d’espérance d’une vie meilleure encore pour leurs enfants.

L’Inde est un très grand pays moderne, spécialisé notamment dans l’informatique ; les Indiens ont toujours été mathématiciens.  Ils brillent de nos jours dans cette application de pointe.  Ces nouvelles reflètent cependant une sorte de Pays tamoul éternel.  Les vagues de la surface et leur écume n’affectent point sa masse océanique ni ses abysses.  Beaucoup d’étrangers voient dans l’Inde un marais où tout finit englouti, digéré, assimilé, comme les Aryas, le bouddhisme, les Moghols, l’islam et le christianisme. 

Marais ou creuset ?  Creuset plutôt ; chacun de mes séjours dans l’Inde m’émerveille par la résilience de son peuple, un peu, sa vigueur et sa vitalité, surtout.  Sous le soleil noir du destin, l’Indien réagit en homme debout, vif, pétillant et drôle ; il se rebiffe, mangouste face au cobra.

Quand on est petit, dans une histoire, on veut avant tout « savoir la fin ».  Ces nouvelles doivent au contraire être dégustées, savourées paragraphe par paragraphe, phrase par phrase, presque mot à mot.  Il convient d’y goûter la moindre péripétie, les plus menues réactions des uns et des autres, par l’écho parfois muet d’un geste, d’une attitude.  Le but compte moins que le chemin.  Mieux : le cheminement est le but.  Auteurs et traducteurs rivalisent de talent, d’astuce et de grâce.

Yeux grands ouverts qui vous regardent les yeux dans les yeux, intrépides. 
Hypnose ?  Envoûtement.

- François-Xavier Nève de Mévergnies

 

Docteur en linguistique romane (Ph. D. in Romance Linguistics) de l’Université d’Alberta à Edmonton, François-Xavier Nève a été le directeur du Laboratoire de phonétique et du Service de linguistique expérimentale (phonologie, phonétique, diction et langue des signes) de l’université de Liège. Il a également étudié et enseigné dans des universités du monde entier : en Belgique, en France, en Grande-Bretagne, au Canada, en Algérie (Constantine), en Chine (Pékin), à l’île Maurice et en Inde. Chercheur et écrivain, il a à son actif 25 ouvrages scientifiques et plus de 70 articles, dans les domaines de la phonétique, de la phonologie, de la grammaire, de la langue des signes, de l’apprentissage du français et de l’alfonic.

Son premier contact avec l’Inde remonte à son enfance. Il avait emprunté à la bibliothèque de son quartier un ouvrage intitulé Contes de l’Inde ancienne. Il a également publié les contes du vampire de l’Inde classique, Le Tamarin ensorcelé, en 2010.
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