MOT DU PRÉSIDENT

Le français comme médiateur de la diversité
culturelle et linguistique

Enseignant de français depuis bientôt 40 ans, j’ai été aux premières loges pour observer de près les différentes expériences qu’on a menées en Inde dans le domaine de l’enseignement du FLE tant au niveau secondaire qu’au niveau universitaire.

Après une prise de conscience méthodologique qui s’est produite chez les enseignants indiens au début des années 70 du siècle dernier, il y a eu, dans notre pays, une ruée vers les méthodologies proposées par les didacticiens français et, pendant une période assez longue, nous avons été submergés par une avalanche de méthodes et de manuels fabriqués en France. Se succédant à une vitesse vertigineuse, ils se sont tous voulus innovateurs et efficaces.

K.MADANAGOBALANE
Cependant, à l’état actuel des choses, je pourrais dire sans conteste que les résultats acquis, du moins en Inde, laissent beaucoup à désirer ; en tout cas, ils ne paraissent pas meilleurs par rapport à ceux que nous avons obtenus avec les méthodes et manuels traditionnels.

Face à ces résultats peu encourageants, nous nous sommes engagés dans une longue réflexion lors de nombreuses rencontres nationales et régionales. C’est alors que nous nous sommes rendus compte que nous autres responsables de cet enseignement n’avons pas pris le recul nécessaire pour mieux juger du matériel pédagogique que nous avions pratiqué dans nos cours et que nous ne nous sommes pas interrogés suffisamment à quel point il est conforme à nos attentes et nos objectifs.

Cette nouvelle prise de conscience est, à l’heure actuelle, à la base des expériences que nous menons en FLE en Inde où nous sommes obligés d’évoluer dans un contexte plurilingue et où il existe déjà une grande diversité linguistique et culturelle. Avec environ 1500 langues qui y sont pratiquées, nous sommes convaincus que les consignes venant des concepteurs étrangers ne sauraient être considérés comme parole d’évangile. Si le français doit survivre en Inde, il faut faire tout pour qu’il devienne vraiment un médiateur parmi ces langues tout autant que l’anglais.

Le moyen d’y parvenir c’est de contextualiser les stratégies.

De ce point de vue, le CECR nous ouvre une nouvelle perspective. Bien que destiné à un public européen, il se distingue par la souplesse des stratégies proposées. La contextualisation qu’il propose va en effet dans le sens que nous souhaitions.

Mais comment contextualiser les stratégies de l’enseignement du FLE ?

Après mûre réflexion, nous avons décidé d’utiliser comme textes déclencheurs non ceux qui traitent des réalités françaises, mais ceux qui traitent des réalités indiennes rompant nettement avec la tradition, quitte à réserver une place à celles-là en fin de la leçon.

Les traditionalistes pourraient bien crier au scandale. D’ailleurs, ils l’ont fait lors de la conférence de la FIPF en 2007, où nous présentions une méthode que nous avons préparée à l’intention des étudiants indiens, Synchronie.

Mais il y a trois raisons qui ont motivé notre choix :
  • Tous d’abord nos étudiants travaillent dans un contexte culturel indien où il leur manque de vrais stimuli pour déclencher des réactions en langue française. D’ailleurs les manuels et méthodes fabriqués en Inde pour l’enseignement de la langue anglaise ne traitent que très rarement des réalités britanniques ou américaines. En outre, l’habitude d’exprimer les aspects de la vie quotidienne et de la culture indiennes permettraient aux apprenants de faire carrière dans des domaines qui nous paraissent très prometteurs : l’hôtellerie, le tourisme, traduction, etc. Nous constatons que même les étudiants qui expriment facilement certaines réalités françaises se débrouillent très mal quand il s’agit d’expliquer aux étrangers certains aspects de la vie quotidienne de l’Inde.

  • Nous sommes convaincus aussi que sous prétexte de présenter les réalités françaises, nous obligeons nos apprenants à gober un certain nombre de notions dont ils ne comprennent pas vraiment les nuances. Par exemple, Tati, la Galerie La Fayette, etc. peuvent renvoyer à la même réalité, à savoir, un super marché. Mais les étudiants indiens comprennent rarement que chacun d’eux vise une clientèle différente, bien précise sur le plan social. En outre, n’ayant pas eu l’occasion de visiter la France, même l’enseignant ignore parfois les nuances entre ces différentes réalités. Dans ces conditions, la promesse d’enseigner le français avec les réalités françaises n’est pour la plupart du temps qu’un leurre.

  • Enfin, si de plus en plus de manuels de français préparés en Inde mettent en valeur les cultures locales, à la longue, le français aura un nouveau rôle à jouer dans le contexte indien : celui de médiateur au sein d’une diversité culturelle.

Compte tenu de toutes ces perspectives, nous avons engagé notre équipe à entreprendre l’élaboration d’une méthode qui viserait un public indien, local. Notre projet, le seul à être accepté par la FIPF en ce qui concerne l’Inde, a bénéficié également de la collaboration du service culturel de l’ambassade de France en Inde. Afin de le rendre vraiment plus efficace, nous avons pris soin, lors de l’élaboration du manuel, de consulter les utilisateurs éventuels, à savoir, des enseignants aux différents niveaux du système éducatif indien, lors des séminaires ouverts et fermés qui se sont tenus dans des différentes régions de l’Inde, Varanasi, Simla, Pondichéry, etc.

Pour conclure provisoirement: l’avenir du français en Inde, comme dans tout autre pays où règne une grande diversité culturelle comme le nôtre, dépend à long terme de la façon dont cette langue joue de façon efficace son rôle de médiateur ; d’où la nécessité de privilégier notre contexte indien, voire régional, dans la préparation de nos méthodes. Ce projet est d’ailleurs conforme à la déclaration de l’UNESCO  qui insiste qu’il faut veiller à ce que toutes les cultures puissent s’exprimer et se faire connaître. C’est là aussi le seul moyen de promouvoir le respect et l’estime mutuelle entre les cultures concernées. Il nous semble donc que l’heure est venue où nous devrons adapter notre enseignement et notre matériel d’enseignement de façon à pouvoir faire face à ce nouveau défi.

 
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